Entretien avec Professeur Mireille Dosso sur la lutte contre la résistance aux antimicrobiens en Côte d’Ivoire
La résistance aux antimicrobiens (RAM) est une menace importante pour la Côte d’Ivoire et qui nécessite des mesures rapides pour la contenir. Pour ne citer qu’un exemple, la résistance moyenne à l’amoxicilline est passée de 73,7% en 2012 à 87,3% en 2017 , ce qui montre que la résistance à cet antibiotique fréquemment utilisé est importante et en augmentation dans le pays. Cependant, depuis plusieurs années et à la suite de l’évaluation externe conjointe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2016, la Côte d’Ivoire a pris des mesures fortes afin de lutter contre la RAM. Dans cet entretien, Professeur Mireille Dosso, Présidente du Groupe de Coordination Multisectorielle pour la Résistance aux Antimicrobiens et Directrice de l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire parle des efforts effectués par la Côte d’Ivoire ainsi que les défis et les priorités pour contenir la RAM.
Comment est-ce que la Côte d’Ivoire lutte contre la menace de la RAM et quel est le rôle de l’Institut Pasteur dans ce combat ?
L’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire est impliqué dans la lutte contre la RAM depuis plus de 20 ans en hébergeant l’ORMICI. Cet organisme est l’entité exécutive pour coordonner les actions contre la RAM grâce à six comités techniques multisectoriels (CTM) et qui correspondent aux six objectifs stratégiques du plan national de lutte contre la RAM.
Cette approche multisectorielle est une vraie fierté pour moi puisqu’elle permet une grande collaboration entre les différentes parties prenantes. L’unification des six CTM sous la direction de l’ORMICI favorise une grande collaboration entre les comités. Par exemple, lors de la révision du plan national RAM et bien que chaque comité ait la responsabilité de son objectif stratégique propre, les membres des autres comités sont invités à travailler sur l’ensemble des objectifs afin qu’ils puissent partager les défis, les leçons retenues de leur propre travail et leur expérience sur la mise en place d’activités.
J’aimerais également ajouter que la collaboration avec nos partenaires internationaux nous a également aidé à réaliser des résultats importants. La collaboration avec le Programme des Médicaments, Technologies et Services Pharmaceutiques (MTaPS) de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) nous a permis d’obtenir des progrès afin de renforcer la lutte contre la RAM. Une documentation importante a été développée afin de donner un cadre à la gestion des antimicrobiens. En complément, le soutien de MTaPS pour les évaluations sur la prévention et le contrôle des infections (PCI) ainsi que pour la révision du plan national RAM doit être salué.
De manière général, que ce soit via l’USAID ou les CDC, c’est à grâce à ces financements que la rénovation et le fonctionnement du réseau de 11 laboratoires spécialisés sur la RAM ainsi que la mise à disposition de nouveaux équipements ont été possibles.
Est-ce que le secteur privé a un rôle à jouer contre la RAM ?
Cela peut sembler contre-intuitif mais non seulement le secteur privé doit être impliqué dans la lutte contre la RAM mais ce souvent les membres de ce secteur qui sont demandeurs de régulations en matière de bactéries multirésistantes et de résidus d’antibiotiques, en particulier les établissements de santé et ceux dans l’agroalimentaire. Ces secteurs sont affectés par la RAM puisqu’elle diminue ou élimine complètement l’efficacité des produits utilisés ou vendus.
Ces derniers ont compris l’intérêt d’avoir des contrôles stricts des produits qu’ils vendent, en particulier dans le cas de la restauration collective afin de pouvoir avoir des moyens de se défendre en cas d’accusation d’intoxication alimentaire. Malgré cet intérêt et la volonté de la part du secteur privé, le problème reste le coût de contrôles plus stricts et il faut donc pouvoir se mettre d’accord entre les autorités et le secteur privé pour que ces contrôles soient accessibles au plus grand nombre.
Avec une recrudescence des épidémies, l’approche « Une Seule Santé » est très pertinente : quelles sont les barrières pour une plus grande collaboration entre les secteurs (santé humaine, animale, environnementale) ?
Le problème vient du fait que les différents secteurs ne sont pas au même niveau de progression. Le secteur de la santé humaine est plus avancé puisque l’Institut Pasteur a commencé de travailler dès les années 1980 sur ce sujet et de nombreux chercheurs sont mobilisés sur tout le territoire.
S’agissant de la santé animale et environnementale, les compétences et ressources ne sont pas aussi nombreuses car la recherche n’a pas débuté au même moment.
Il est important également de souligner que le concept ‘’Une seule Santé’’ est relativement nouveau, nous pensons qu’il faut communiquer et sensibiliser les acteurs pour qu’ils en comprennent mieux l’intérêt. La pandémie actuelle et le changement climatique ont également prouvé avec beaucoup de gravité le besoin d’une approche multisectorielle pour lutter contre ces défis et ceci pourrait accélérer le changement dans la gestion de ces problèmes de santé publique.
La COVID-19 a eu un impact planétaire considérable, est-ce que cette pandémie a provoqué un changement dans l’approche de la Côte d’Ivoire en matière de prévention et contrôle des infections ?
A travers le monde, les agents de la fonction publique et les professionnels de la santé ont pris conscience de l’importance de la prévention et du contrôle des infections. Il ne faut pas oublier le prix élevé payé, en termes humains, par les professionnels de la santé en raison de la pandémie. En Côte d’Ivoire, les systèmes de santé et les capacités en PCI ont été renforcés lors de la pandémie et nous croyons qu’en conséquence, plusieurs améliorations seront mises en place.
L’un des effets les plus importants de la COVID-19 a été une plus grande importance apportée par le monde politique sur le besoin de faire plus attention aux établissements de santé, aux laboratoires et au financement du secteur de la santé afin d’éviter des conséquences sociales et économiques.
Quelles sont vos espérances sur ce qui peut être fait pour réduire efficacement la RAM en 2021 ?
Mon espérance première c’est de faire comprendre que les antibiotiques ne sont pas des bonbons et qu’une surconsommation de ces produits peut avoir des conséquences graves. Lorsque la pandémie de la COVID-19 a commencé à se répandre en Côte d’Ivoire, le premier protocole contre le virus comprenait des antibiotiques, ce qui a favorisé une surconsommation et a aggravé le risque d’un usage néfaste de ces produits. Il faut donc vraiment insister sur le fait que les antibiotiques ont un usage précis, qui doit être circonscrit.
Je pense également qu’une priorité doit être apportée sur les pratiques d’hygiène et de prescriptions de médicaments. Le personnel hospitalier doit assurer le respect des règles dans leur établissement, en particulier les mesures ayant trait à la biosécurité afin que les déchets liquides et solides soient pris en charge de façon appropriée. Plus de formations et d’équipements sont nécessaires pour prendre soin de cette tâche.
Enfin, il est important de noter que la Côte d’Ivoire fait face à un défi majeur avec des médicaments vendus sans ordonnance dans des commerces légaux ou illégalement par des vendeurs de rue, ce qui créé un marché de faux médicaments ou de médicaments ayant dépassé la date limite de consommation. Ainsi, non seulement les patients ne reçoivent pas les soins dont ils ont besoin mais le commerce de ces produits pose des risques importants de santé. Pour ces raisons, la réglementation des médicaments doit être un objectif de santé publique et la lutte contre le trafic illégal de médicaments une priorité.
Cette interview a été modifiée pour en faciliter la lecture. Pour plus d’informations sur les mesures prises par la Côte d’Ivoire pour lutter contre la RAM, veuillez regarder la présentation de Professeur Dosso intitulée « La Coordination Multisectorielle dans la lutte contre la RAM : l’expérience de la Côte d’Ivoire », enregistrée lors d’un événement en marge de la 6ème réunion ministérielle pour le Programme d’action pour la sécurité sanitaire mondiale en novembre 2020.